David François Moreau : coulisses d'une bande-originale de film
Comment composer une musique de film ? Comment s'imprégner de la vision du réalisateur ou du caractère des personnages ? Comment choisir sur quels passages ou non, il y aura de la musique ? Comment trouver l'inspiration ? Est ce beaucoup de ressenti ou de technique ?
Moi, véritable amoureuse des bandes-originales de films, je me suis posé toutes ces questions, au moins cent fois ! Et, il y a quelques jours, j'ai eu cette formidable opportunité de rencontrer un de ces hommes de l'ombre, David François Moreau, compositeur. A travers plus d'1h d'interview passionnante, cet homme véritablement amoureux du cinéma et de la musique en tout genre, m'a apporté de certaines réponses, appris d'autres et confirmé plusieurs idées.
Aujourd'hui je vous dévoile un peu de lui, un peu de moi, et les dessous de cet énorme coup de coeur artistique avec DFM !
* Une autre interview du compositeur,sur le reste de son travail hors cinéma, est disponible sur le blog de Selim Niederhoffer.
DFM, l'intro
Il m'accueille dans le studio d'enregistrement Orgeville au coeur de Paris 5e. Simple, calme, souriant, posé, mon premier réflexe est de voir cette ressemblance avec son demi-frère Patrick Bruel (déformation d'une femme ayant grandi en midinette criant Patriiiiick depuis ses 14 ans peut-être ou juste l'admiration naturelle pour des hommes créatifs qui réussissent dans plusieurs domaines). Décidément, on est artiste dans la famille. Bref, David François Moreau (DFM pour les intimes) est compositeur de musiques de films mais pas seulement. Il travaille aussi sur des albums jazz/variété comme "l'âge d'or" celui du chanteur Cali, sorti le 09 mars, ou avec le chorégraphe Thomas LeBrun pour le Lied Ballet a voir dès avril à Chaillot, pour ne citer que ceux là.
J'apprends que ça fait 15 ans qu'il est compositeur, mais nous public, on n'a pas souvent entendu son nom, qui pourtant se diffuse de plus en plus dans le métier. Puis on commence a parler de ce qui l'inspire et une vraie conversation s'installe. J'adore déjà le personnage et son langage !
Derrière tout artiste, il y a une personne et c'est clairement ce qui m'intéresse le plus quand moi, blogueuse, j'ai la possibilité de faire des interviews. C'est donc tout naturellement qu'au lieu de lui parler, détailler, analyser les oeuvres qu'il avait déjà composées, je lui ai posé une question très bateau : "comment créé t-on une musique de film ?".
DFM et le travail
"Il ne faut pas faire la musique qu'un réalisateur vous demande, il faut créer la musique qu'un réalisateur VEUT"
Beaucoup de son travail nécessite une véritable discussion avec le réalisateur, que ça soit en séance de travail ou autour d'un café à chercher cette complicité réalisateur/compositeur digne des plus grands pour DFM : Audiard/Desplat, Fellini/Rota, Takemitsu/Kurosawa.
David François Moreau me confie que malgré son métier de compositeur, il recherche une musique de film comme quelqu'un du public : comprendre et s'ouvrir au film pour s'adapter et retranscrire au mieux la vision du réalisateur. Puis cette phrase logique : "Quel réalisateur connaît vraiment la musique ? C'est délicat". J'imagine pendant quelques secondes, tout en continuant de l'écouter, ce qu'un réalisateur connaissant placements, visions, caméra, matériel, effets photos, humeurs d'acteurs, pourrait exiger d'un compositeur s'il n'était pas musicien lui-même. Il y a tout un travail d'interprétation derrière, c'est évident finalement.
"J'ai eu la chance de rencontrer Claude Sautet qui connaissait mon travail, cet homme connaissait extrêmement bien la musique. Un vrai mélomane, remarquable de grande sensibilité."
S'en suit alors une discussion sur les acteurs, le cinéma, le théâtre, comment habiter un personnage et un scénario en gardant son style, en étant tout de même près à l'effacer un peu pour s'adapter à la vision du réalisateur ? Le travail d'un acteur de cinéma sortant de sa caravane, coupé à chaque scène de 30sc à 1 min, est parfois même plus difficile qu'un comédien de théâtre très immergé dans son rôle et décors. Quand DFM me décrit cette interprétation et cette immersion des acteurs, il fait un parallèle logique avec son rôle de compositeur. Plus je l'écoute et plus j'ai envie de le voir travailler. La façon dont il en parle est prenante !
"On est un vrai co-dramaturge quand on est compositeur de musique de film, c'est une histoire qui s'écrit à deux avec le réalisateur, parfois à trois avec le monteur aussi"
DFM et le silence
Puis David François Moreau (à ne pas confondre avec le réalisateur) me parle du silence. Sa fascination du silence, des pauses qui veulent dire beaucoup, qui sont parfois lourdes de sens dans un film, dans une scène.
"Dans un film, il faut bien choisir où placer de la musique et où garder le silence. La musique draine souvent des intentions cachées ou accentue une scène intense."
Moi qui avait commencé ma conversation en disant que les B.O étaient primordiales pour moi dans un film, je me retrouve face à un fan de silence... Et quand je repense à toutes ces scènes au cinéma, sans musique, dures, puissantes comme dans Vertigo, Funny Games US, 2001 l'Odyssée de l'espace, The Artist et tant d'autres...
A ce moment là, David revient sur sa discussion avec Claude Sautet et me parle d'une scène dans "Un mauvais fils". La passion de DFM devient palpable, communicative, je me remémore ce film vu qu'une seule fois et cette ambiance de conflits et de culpabilité qui règne dans les scènes. Ce silence pesant que certains grands réalisateurs français "de l'époque" savaient faire, qui a forgé l'esprit du cinéma "à la française", assez élitiste finalement, assez sérieux et profond.
"Un film est une machine extraordinaire pour fabriquer du silence. Parfois il m'est arrivé de créer de la musique pour une séquence pour adoucir la tristesse d'une scène."
Qui dit silence et cinéma dit films muets. Si je n'ai pas osé (ni eu le temps) de lui demander son avis sur The Artist, il m'a naturellement parlé de son travail sur la diffusion d'un film en noir et blanc, muet, japonais, de 1932 : "Gosses de Tokyo". David est très attaché à la culture japonaise, et il a pu être le pianiste accompagnant une projection de ce film en 2008. Beaucoup de préparation mais aussi d'improvisation. Toujours en l'écoutant, je l'imaginais au pied de l'écran, mains sur le piano, à regarder les images défiler, dos au public, puis à se lancer et jouer d'un coup quelques notes douces, puis graves ou dynamiques... par émotion d'artiste sur une scène.
DFM et l'inspiration
Cet amoureux des chants d'oiseaux me confie que le Sirli du désert est fascinant, semblable aux chants des sourates de l'Islam qu'il respecte énormement et qui l'intéresse beaucoup. Il me dit aussi qu'il devrait y avoir des cours pour étudier les chants d'oiseaux au conservatoire car on y apprend beaucoup sur la musicalité, son potentiel, ses limites, en s'intéressant aux piou-piou. Moi, musicienne non-pratiquante, je suis bien d'accord avec lui (et ça ne sera pas la seule fois dans cette interview) ! D'ailleurs beaucoup de musiques classiques que nous connaissons tous se sont inspirés des bestioles à plumes (Beethoven, Wagner, Schumann, Messiaen etc...).
"Un tournage est amusant mais n'est pas inspirant. Il n'y a ni récit ni émotion".
En évoquant tout ça, j'insiste pour connaître ses habitudes de composition : "Je ne peux composer que dans une caverne, dans le calme avec des chauves-sourirs", voilà donc un Batman de la musique ;-) Plaisanterie bien sûr (quoi que, Bruce Wayne si tu me lis), mais c'est tout naturellement que DFM s'enferme au calme pour composer avec un piano, une feuille de papier, un crayon.
"Il faut arriver à écouter la musique qu'on a en soi, ce n'est pas évident, il faut une ambiance. Le silence d'un studio aussi peut être important"
Le plus simple, le plus évident. Un genre de poète de la B.O finalement !
DFM, homme du public
Au-delà de "l'interview", j'ai voulu savoir un peu ce qu'il aimait et sa vision simple du cinéma, de la TV, des autres compositeurs d'aujourd'hui. La conversation se poursuit autour de ses goûts (qui rejoignent les miens, donc c'est encore plus facile pour l'échange !) :
Quand je déplore un peu le manque de créativité qu'il y a dans certaines B.O, DFM acquiesce et me confie qu'il y a une tendance un peu trop "collégiale" qui se place dans l'univers la musique de film. Beaucoup de compositeurs s'oublient et suivent les règles marketing du "il faut modifier car le public n'aimera pas, ne comprendra pas" pour leurs créations. "Quand on travaille sur une musique de film, on a un contrat d'auteur, c'est important de le préciser !". Il regrette aussi qu'il n'y ai pas plus de films avec le culot de Birdman ou la folie de Lars Von Trier, qui comptent des soundtrack puissantes et très démonstratives. Il admire ces réalisateurs et ces compositeurs qui osent, et surtout ces producteurs qui ont fait confiance au public sans limiter la créativité des artistes.
Puis on parle de la saison 3 de House of Cards, de Broadwalk Empire et on s'accorde totalement à dire que ce sont des séries qui dépassent la TV et pas accessibles immédiatement.
"C'est de la haute dramaturgie, du vrai cinéma complexe. En France on n'ose pas à ce point, ça manque encore".
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Cette rencontre a été un plaisir de A à Z, une découverte, un artiste fascinant que j'ai regretté quitter après 1h d'échange car David François Moreau, compositeur en quête de son "âme soeur/réalisateur de cinéma", est un homme avec qui vous vous imaginez parfaitement refaire le monde autour d'un verre de vin jusqu'au bout de la nuit. Certes ses goûts collent beaucoup à l'image que l'on a du cinéma français, de la dramaturgie, du ballet poétique (hâte de découvrir son travail avec Thomas Lebrun sur Lied Ballet vu la passion et la fusion avec laquelle il en parle), de l'harmonie des âmes artistiques (comme sa "bromance" avec le chanteur Cali)... mais son travail et sa personnalité restent très accessibles, bien plus qu'on ne le pense.
Un vrai connaisseur de son art et de celui des autres, un homme de qualité comme on en rencontre malheureusement trop peu aujourd'hui dans les interviews ou tournées de promo.
Pendant ces 60 minutes, David François Moreau m'a parlé de lui, de ce qu'il aime, de sa vision des choses. Coïncidence ultime et surprise sur le gâteau, j'ai aussi découvert qu'il avait composé une des bandes-originales qui m'a fait sincèrement aimer la musique au cinéma, celle d'un de mes films préférés : "Les Jolies Choses" avec Marion Cotillard, et m'a rejoué au piano, un petit morceau rien que pour moi... mais ça, c'est pour un prochain article ;-)
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